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Le Haut Oisans pendant l’hiver en 1928

samedi 4 décembre 2010

Extrait de l’article paru dans le Dauphiné du dimanche 25 mars 1928

ADI PER 969/23 Le Dauphiné

Un hiver en montagne n’est pas triste comme dans la plaine on pourrait l’imaginer. Je viens de passer l’hiver à Huez en Oisans (1 500 m.).

Accroché au flanc d’un autre versant, il semble de loin un vrai bourg. Les maisons se touchent comme pour se protéger mutuellement. Et en effet, groupées ainsi, elles sont plus fortes pour résister à la rafale qui souvent en sifflant dévale par les rues du village courbe les arbres, arrache les volets, renverse les gens avec leurs seaux de lait. Huez, naguère village important, compte aujourd’hui à peu près 300 habitants, comme il y a 80 ans. La moitié de ses maisons sont abandonnées et tombent en ruines. Cette dépopulation vient de ce qu’à Huez les familles sont peu riches en enfants si elles le sont autrement. Si encore ces enfants restaient au pays, la population se maintiendrait, mais il sont attirés par la ville. Les hommes qui s’en vont bergers dans le Midi ou voyageurs ambulants racontent la vie facile des villes et des plaines, et beaucoup de jeunes désertent la montagne et les champs paternels pour s’en aller petits fonctionnaires dans les grands centres, ou bonnes dans les villes. A la vie libre des montagnes, ils préfèrent la servitude des villes ; à l’air pur et au ciel bleu ils préfèrent l’air vicié et le ciel gris. Mais ils sont en ville ; et au pays telle famille parle avec fierté de son fils agent de ville à Marseille, et de sa fille femme de chambre à Paris, etc..

Les maisons sont en pierres et recouvertes d’ardoises d’Ornon. Elles ont une couleur grise uniforme. Le toit est très en pente afin que la neige ne s’accumule pas et puisse décharger seule. En général, les maisons n’ont qu’un rez-de-chaussée et un étage. On entre de plein-pied dans la cuisine qui est en même temps chambre à coucher. Ces cuisines sont très grandes ; le poêle, la table, les vieux buffets, les lits de la maison, tout y trouve place. Les enfants et les parents, les bébés, tout le monde couche dans la cuisine pour avoir plus chaud. Et cela dans presque toutes les maisons de Vru, comme ils disent. Par une porte donnant dans la cuisine on pénètre dans l’écurie. Là vivent en commun tous les animaux : poules, lapins, chèvres, vaches, mulets, etc., excepté le porc qui, à cause de son «parfum», est tenu en dehors de la maison. Cependant, dès qu’on ouvre la porte de l’écurie, une odeur forte de fumier vous prend à la gorge. C’est que de tout l’hiver, on ne sort guère le fumier, la neige recouvrant le champ où il doit être étendu. Aussi, au printemps, l’écurie en est à moitié pleine. Au-dessus de l’écurie, au premier étage se trouve la grange et à côté une belle pièce, «la chambre», où on n’entre pas souvent. C’est la pièce où sont les portraits de famille, les beaux meubles. C’est celle qu’on donne aux parents qui viennent au pays. Il en vient du reste peu souvent.

 

Beaucoup d’habitants sont parents. Autrefois les chemins rares et mal entretenus isolaient les villages, et les jeunes gens ne se mariaient qu’entre-eux. Aujourd’hui des chemins sont ouverts, mais cette coutume subsiste cependant et une sorte de méfiance va à la femme qui est d’un village voisin. Les femmes qui viennent du dehors ont des habitudes particulières à leur village : elles mettent leur mouchoir sur la tête d’une certaine façon ; leurs bêtes sont soignées différemment, elles ont une autre manière de faire les trousses de foin et les bissacs pour porter le fumier dans les terres.

Les hommes sont moins occupés, ceux qui restent au pays s’entend. Car ils sont nombreux ceux qui laissent leur femmes seules pour tout le travail des bêtes et qui vont faire les marchands ambulants, les porteballes. Ils vendent des lunettes, de la mercerie, des étoffes, etc., et s’en vont parfois très loin. Certains demeurent dans la région, mais le plus grand nombre va jusqu’en Auvergne et dans le Jura. (Des communes voisines, Venosc, Mont-de-Lans, on va jusqu’en Russie et en Amérique). D’autres vont garder les troupeaux dans le Midi et au printemps ils remonteront avec eux dans les Alpes. Pendant ce temps, les femmes soignent le bétail, traient les vaches et, par les chemins rampants et glacés, portent le lait à la fruitière. Les hommes au pays rempaillent les chaises, refont les trousses pour le foin, promènent les cochons au soleil. Lorsqu’ils n’ont plus de foin, ils vont à l’Alpe (aux chalets d’été) en chercher. Dans la neige jusqu’à la poitrine ils grimpent et cherchent leur maison. Ils sont obligés de peller ou de faire un tunnel pour arriver jusqu’à leur grange. Sur le dos ou sur un traîneau qu’ils retiennent, ils descendent leur trousse le long de la pente raide.

Malgré le travail des bêtes et le raccommodage des vêtements entassés depuis l’été, cette année une industrie nouvelle s’est implantée à Huez et a pris les femmes : ce sont les perles pour couronnes. A la veillée, elles se réunissent les unes chez les autres ; en même temps que les perles ou les aiguilles, les langues marchent ; parfois l’une chante ou conte une histoire et le temps s’écoule, car les veillées sont longues en hiver. Elles commencent à 5 heures et se terminent vers 10 heures. On leur apporte des perles et les femmes en font des feuilles et des fleurs funéraires.

Pendant ce temps les enfants vont à l’école ; les pupilles de l’Assistance de 12 et 14 ans, qui sont nombreux dans l’Oisans, font le travail de la maison et ont soin des bêtes.

La fruitière fournit le moyen de faire des économies. Il y a à Huez trois fruitières. Chaque famille porte matin et soir le lait de ses vaches, en rapporte le petit-lait et en fait du beurre. Le fruitier fabrique des fromages bleus, dits d’Huez. Cela fait qu’ils touchent de la fruitière une jolie somme à la fin du mois, et ils peuvent ainsi supporter les rigueurs des longs hivers de montagne.

Ancienne coutume Uissane

lundi 1 novembre 2010

Une lettre de Georges de Layens, écrite à sa nièce le 8 décembre 1873 (voir l’article l’ermite d’Huez)
Donnera une idée de certaines coutumes du pays à cette époque :

Huez en Oisans

«Tu me demandes de te parler des fêtes de la Toussaint à Huez. Je vais te raconter ce que j’ai vu.
«D’abord, il faut te dire que c’est ici le pays des sonneries de cloches.

«Le dimanche, pour annoncer la messe, qui commence à dix heures, on sonne à huit heures, puis à neuf heures, puis un peu avant dix heures et, après cette dernière sonnerie, on tinte ce qu’on appelle les trente coups, et cela veut dire que la messe va bientôt être célébrée. Alors, le prêtre va à l’autel et récite la passion ; pendant tout ce temps on tinte encore. Enfin, au véritable commencement de la messe on sonne les trois coups ; puis on sonne encore plusieurs fois pendant la messe et à la fin.

Eglise d'Huez


«Mais la veille du jour des morts, la sonnerie est une affaire autrement grave. Le sonneur, et son frère, le garde, chargent un mulet de liquides et de solides et se dirigent vers Saint-Ferréol, à un quart d’heure au-dessous d’Huez. Saint-Ferréol c’est l’ancien clocher de la vieille église d’Huez, car à la suite d’incendies et d’avalanches le village s’est déplacé ; c’est là que sont les grosses cloches, qui sonnent en plus des autres non seulement pour les grandes fêtes, mais pour tout enterrement, baptêmes ou mariage. Aucune de ces cérémonies ne peut avoir lieu sans les cloches de Saint-Ferréol.

Eglise Saint Ferréol

«A quatre heures du soir, les grosses cloches commencent à retentir et, de cinq en cinq minutes, la sonnerie reprend, sans discontinuer, jusqu’au lendemain à dix heures du matin, heure à laquelle la rage de sonner arrive à son comble, par suite des vapeurs vineuses qui se sont concentrées toute la nuit dans le cerveau du sonneur et dans celui de son honorable frère.

«Mais s’ils sonnent ainsi alternativement pendant dix-huit heures de suite, ils sont largement payés de leur peine, car cette seule sonnerie leur permet de vivre pour rien pendant la moitié de l’année. En effet, pour eux, l’après-midi du lendemain est consacrée à aller de porte à porte recueillir l’offrande que chacun leur donne en argent ou, plus souvent, en nature.



«Le soir du jour des morts, il est de toute nécessité que chaque habitant d’Huez mange des «creusets», et j’ai été invité à venir prendre ma part. Les creusets sont des boules de farine cuites dans l’eau, et ensuite dans du beurre ; c’est horriblement mauvais, mais il m’a fallu en manger un grand nombre, et faire bonne mine en les avalant.

«Un usage, qui était encore général il y a vingt ans ou trente ans, était de mettre, le soir, à chaque fenêtre de toute les maisons, un plat de creusets que les morts devaient manger pendant la nuit, et qui servaient de régal aux enfants dès le premier matin. Il n’y a plus que quelques maisons qui donnent ainsi leur repas annuel aux trépassés.»

Georges de Layens

Source Dauphiné Jeudi 30 Juin 1898 n°2012 Gaston Bonnier ADI PER969/13