Correspondance Chritolette

Pourquoi cela ? A-t-il eu à souffrir pour la subsistance, dans sa course en Oisans ? Cela pourrait arriver à quiconque s’aventurerait loin dans les montagnes, sans connaître d’avance les lieux où il doit s’arrêter et se restaurer, et les auberges qui peuvent le recevoir.
Si je m’étais douté qu’il fût dans un cas pareil, le jour où je le vis passer, tout suant de chaleur et de fatigue, devant ma porte, je l’aurais prié d’entrer dans ma maison ( dans ma hutte, s’il aime mieux ), et ce qu’il y avait à manger aurait été tout à son service. J’aurais tâché de le convaincre que le pays n’est pas si dénué qu’il veut le dire. Avec ce qui aurait pu lui être offert, je lui aurait fait goûter du pain de seigle cuit la veille, et non pas d’un an. Car si l’habitude est, dans les montagnes d’Oisans, de faire cuire à l’entrée de l’hiver tout le pain nécessaire jusqu’au printemps, dès que la belle saison est arrivée, on ne se fait pas faute de pain frais. Chez moi, je lui aurais présenté ma famille, mes deux garçons, dont un, âgé de dix-neuf ans, a cinq pieds cinq pouces, et un autre de quinze ans qui a cinq pieds (taille passable pour de jeunes Lapons). S’il avait voulu passer la nuit dans mon logis, il aurait eu pour se reposer un hamac garni d’un matelas de plumes et de linge blanc (on fait comme on peu chez les Esquimaux), et un nombre suffisant de couvertures pour qu’il ne grelottât pas de froid. Il aurait vu enfin qu’aussi bien en Ecosse, l’hospitalité n’est pas trop dénuée, et se donne volontiers dans ce pays à ses yeux si dépourvus de l’Oisans.
Je sais bien que dans nos montagnes de l’Oisans, on ne trouve pas de ces auberges fournies de tout et avec luxe, ainsi que j’en ai vu en Suisse, lorsque j’y voyageais pour mon commerce. C’est cela, sans doute, qui a mis l’Anglais de si mauvaise humeur contre tout le pays. Une bonne auberge, bien confortable, l’aurait certainement réconcilié avec sa laideur. J’avoue que s’il en est ainsi, l’Anglais n’a pas tous les torts. Nos aubergistes de l’Oisans ne savent pas si bien faire pour les étrangers que ceux de Suisse. Peut-être ne le peuvent-ils pas, aujourd’hui. Mais patience, cela pourra arriver, surtout si Messieurs les Anglais, informés par leur compatriote, voulaient tous venir voir, chaque année, combien ce pays est hideux.
Quoi qu’il en soit, l’Anglais avait-il raison d’accuser le pays de manquer de tout, lorsque dans tous les villages où il est passé, il pouvait trouver une auberge, à St-Christophe, à Venosc ? Au Bourg d’Oisans, n’aurait-il pas eu bon logement et bonne table à l’hôtel Martin et ailleurs ? Les impressions de son passage, et le souvenir des huit mois de neige qui rendent toute communication impossible, pendant ce temps, des villages avec le Bourg, lui avaient sans doute glacé les sens et ôté l’appétit.

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